RAINER MARIA RILKE

 

 

 LETTRE  À UN JEUNE POÈTE



Une seule chose est nécessaire: la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne - c'est à cela qu'il faut parvenir. Être seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elle font.


 S'il n'est pas de communion entre les hommes et vous, essayez d'être prêt des choses: elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays.


Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d'évènements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l'enfant que vous fûtes: tristes et heureux; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien.


(...) Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande d'écrire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre coeur; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous était interdit d'écrire. Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il écrire ? Creusez en vous-mêmes à la recherche d'une réponse profonde. Et si celle-ci devait être affirmative, s'il vous était donné d'aller à la rencontre de cette grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bâtissez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'en son heure la plus indifférente et la plus infime, doit être le signe et le témoignage de cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez.


 N'écrivez pas de poèmes d'amour; évitez d'abord les formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus difficiles, car il faut la force de la maturité pour donner, là où de bonnes et parfois brillantes traditions se présentent en foule, ce qui vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; décrivez vos tristesses et vos désirs, les pensées fugaces et la foi en quelque beauté. Décrivez tout cela avec une sincérité profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rêves et les objets de votre souvenir.


Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l'accusez pas; accusez-vous vous-même, dites-vous que vous n'êtes pas assez poète pour appeler à vous ses richesses; car pour celui qui crée il n'y a pas de pauvreté, pas de lieu pauvre et indifférent. Et fussiez-vous même dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir à vos sens aucune des rumeurs du monde, n'auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette délicieuse et royale richesse, ce trésor des souvenirs ?


 Tournez vers elle votre attention. Cherchez à faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passé; votre personnalité s'affirmera, votre solitude s'étendra pour devenir une demeure de douce lumière, loin de laquelle passera le bruit des autres.





 Rainer Maria Rilke À  Marina Tsvétaïeva



 "Ces lettres du poète Autrichien Rainer Maria Rilke ont été écrites dans un élan fulgurant d'Amour et d'admiration, 

malheureusement trop court... ' juste ' quelques mois avant la mort de Rilke en décembre 1926. 

Les deux poètes ne se sont jamais rencontrés... sinon par l'esprit et la pensée..."

                                                                                                                                                                                  Gabrielle Ségui

 

* * *


 Nous nous touchons, comment ? Par des coups d'aile, par les distances mêmes nous nous effleurons.


 Un poète seul vit, et quelquefois vient qui le porte au-devant de qui le portera.

 

                                                                                                                                                                         Rainer Maria Rilke 

 

 



Val- Mont par Glion s/Territet - Vaud - Suisse le 10 mai 1926


Marina Tsvétaïeva,


N'étiez-vous pas ici tout de même? Sinon, ou étais-je, moi? C'est encore le 10 mai - et chose étrange, Marina, Marina, c'est cette date que vous avez tracée ( projetée dans le temps, projetée vers cet instant où je devais vous lire! ) au dessus des dernières lignes de votre lettre! C'est le 10 que vous avez cru accueillir mes livres, en tournant la porte( comme on tourne les pages d'un livre)...; et le même 10, aujourd'hui dans l'aujourd'hui , éternel de l'esprit aujourd'hui, Marina, je t'ai reçu dans mon coeur, dans ma conscience tout entière frémissant de toi, de ta venue, comme si ton grand compagnon de lecture, l'océan, avait roulé vers moi avec toi, flots de ton coeur.Tu as plongé tes mains, Marina, tour à tour offrandes et jointes, tu as plongé tes mains dans mon coeur comme dans le bassin d'une fontaine ruisselante : et maintenant, aussi longtemps que tu les y garderas, le courant contenu coulera vers toi... (...)


Poétesse, sens-tu à quel point tu m'a subjugué, toi et ton superbe compagnon de lecture, j'écris comme toi, comme toi je sors de la phrase pour descendre les quelques marches qui mènent à l'entresol des parenthèses où les plafonds sont très bas sur un parfum de roses anciennes, qui ne cessent jamais. Marina: "comme" j'ai habité ta lettre. Et quelle stupeur quand le dé de tes mots, une fois le jet annoncé déjà, est tombé encore une marche plus bas, montrant le chiffre complémentaire, définitif ( souvent plus grand encore ).


Une force de la nature, ô chère, ce qui se tient derrière le cinquième élément pour l'exciter, l'amasser ?... Et il me semblait de nouveau que la nature, à travers toi, m'avait approuvé , tout un jardin disant oui autour d'une fontaine et de quoi encore ? d'un cadran solaire. Comme il me passe et souffle plus haut que moi, le haut phlox de tes mots d'été. (...)


Mon domicile, " Muzot " ( qui, après le désordre et les décombres de la guerre, m'a sauvé ) à quatre heures d'ici : et ( si je puis te répondre mot pour mot ), « mon héroïque patrie française ». Regarde-la. Presque l'Espagne, la Provence : le val du Rhône. "austère et mélodieux"; une colline en miraculeux accord avec la vieille tour, qui lui appartient encore juste autant qu'à celui qui habitue, qui exerce les pierres du destin.


 Rainer Maria




Val-Mont par Glion s/Terriet - Vaud - Suisse le 17 mai 1926


 (...) Mais tout cela se passe sur un autre plan que celui où se tient Muzot, où depuis 1921 (quand les circonstances les plus miraculeuses, non, un pur miracle m'a permis de le trouver et de le garder ), je vis constamment seul (à l'exception des rares visites d'amis), seul comme j'ai toujours vécu, plus encore même : dans une intensification souvent angoissante de ce que signifie être seul, dans une solitude portée à l'extrême et ultime limite (car autrefois, être seul à Paris, à Rome, À Venise - où j'ai beaucoup vécu sans l'être -, en Espagne, à Tunis, à Alger, en Égypte... dans la pénétrante Provence..., c'était encore participer, être inclus et imprégné ), mais Muzot , incitation plus forte qu'aucune autre , n'a permis que la réalisation, le saut, vertical, dans l'ouvert, l'Ascension de toute la terre en moi...


 Chère, qu'ai-je besoin de te dire, quand tu as entre les mains les "Élégies", quand tu as les "Élégies" entre "Tes" mains et au dessus de ton coeur qui bat contre elles, complice...


Ces poèmes ont été commencés ( 1912 ) dans la solitude non moins généreuse offerte , au bord de l'Adriatique, dans un vieux château ( détruit par la guerre ) de Duino ( près de Triestre ), des fragments s'en sont rencontrés plus tard en Espagne, à Paris où, en 1914, tout se serait cristallisé sans doute en oeuvre, si n'était intervenue la grande interruption du monde qui m'a arrêté et paralysé.


Des années durant. Ce que j'avais pu sauver de ce long hiver de l'être, je ne le savais pas moi-même, quand je pus enfin ( 1919 ) me réfugier en Suisse, c'est à dire sur un sol où quelque chose de naturel et d'innocent imposait encore sa mesure...; je n'eus la réponse qu'en 1921, à Muzot, dans la première année solitaire où j'en fus l'habitant, lorsque la force naturelle de mon être, bridée par les circonstances, en quelques semaines, offrit le couronnement de sa plus pleine saison à la croissance inouïe d'abord de "l'Orphée" ( trois jours pour chaque partie ), puis des "Élégies", dans une explosion de passion si violente qu'elle faillit me détruire, en même temps qu'une telle délicatesse, une telle convenance dans le geste que pas un seul vers ( imagine cela! ), pas un seul vers né " antérieurement" n'eut de mal à trouver la place où s'intégrer comme un degré naturel, une voix entre les voix. (...)


Que puis-je te lire, Marina, comme tu me lis ! Néanmoins, tes deux petits livres m'accompagnent de la table au lit et l'emportent à bien des égards sur ceux simplement lisibles.


Ce qui me retient de t'envoyer ma photo d'identité, ce n'est pas la vanité; mais, vraiment, la conscience de l'arbitraire de tels flashes. Mais je l'ai déposé à côté de la tienne: habitue-toi à elle, pour le moment, en image ; n'est-ce pas?


 Rainer


Château de Muzot s/Sierre en Valais Suisse le 8 juin 1926 "au soir"


 Ainsi mon petit mot, quand tu l'as dressé devant toi, aura porté cette grande ombre dans laquelle tu as disparu de façon incompréhensible à mes yeux, Marina! Incompréhensible et désormais comprise. (...)


Tout doit aller comme tu l'entends ? Probablement. Ce qu'il y a en nous d'anticipé : doit-on le déplorer, le dépasser par la jubilation ?


Je t'ai écrit aujourd'hui tout un poème parmi les collines à vignes, assis sur un mur de pierres chaudes ( d'une chaleur malheureusement partielle et non durable ) et retenant grâce à son chant les lézards.Tu le vois, je suis revenu. Mais il me faut voir d'abord, dans ma vieille tour, se déployer maçons et autres corps de métier. Nul repos nulle part; le froid et l'humidité dans ce pays de vin, d'ordinaire si sûr de son soleil.


Mais maintenant que nous en sommes au « non vouloir », nous méritons quelques atténuations. Voici mes petites photos. M'enverras-tu « Quand même » un jour l'autre de toi? Je ne puis résilier la joie que j'en attendais.


 Rainer



"Élégie à Marina Tsvétaïeva"


 

Ces pertes dans le Tout, Marina, ces étoiles qui croulent !

Où que nous nous jetions, vers quelle étoile, nous ne l'accroissons pas : le compte est toujours déjà clos.

 Ainsi, qui tombe ne diminue pas le chiffre saint. La chute renonçante choit dans l'origine et, là, guérit.

 Tout ne serait-il donc que jeu, change du Même ou transfert, et nulle part un nom, la place à peine d'un intime gain ?

 Nous vagues, Marina, et mer ! Nous profondeurs, et ciel !

Nous terre, Marina, et printemps mille fois, ces alouettes que l'irruption du chant jette dans l'invisibilité !

 Nous l'entonnons en joie, déjà il nous a dépassés, et soudain, notre poids rabat en plainte le chant. Mais la plainte ? N'est-elle pas joie cadette, inversée ?

Les dieux d'en bas aussi veulent être loués : si naïfs qu'ils attendent, comme l'écolier, l'éloge ! De la louange, aussi, laisse-nous être prodigues !

 Rien n'est à nous. A peine si nous entourons de notre main le col des fleurs incueillies. J'ai déjà vu cela au bord du Nil, à Kôm-Ombo. Les rois se renonçant versent ainsi la libation.

 Comme les anges marquent l'huis de qui doit être sauvé, c'est ainsi qu'apparemment tendres, nous touchons ceci ou cela. (...)


 

 

 

Rilke, en séjour thermal, "atteint de leucémie" refuse toute lourde thérapeutique et tente de cacher la gravité de son mal...


Actuellement : Hôtel-Hof Ragaz, Ragaz - Suisse le 28 juillet 1926


 Merveilleuse Marina,


Comme dans ta première lettre, j'admire dans chaque autre, depuis, ta manière si rigoureuse de chercher et de trouver, l'inépuisable chemin qui te mène à ce que tu veux dire et, toujours, combien tu as raison. Tu as raison, Marina (n'est-ce pas rare chez une femme ? ) , cette façon d'être-dans-son-droit au sens le plus sûr, le plus insouciant. cette façon d'avoir raison non pas dans un certain sens, ni même, ou à peine, à partir d'un certain point; mais d'être dans son droit, hors de tout besoin, à partir du tout, de la complétude; et, de ce fait, d'avoir droit, perpétuellement, à l'infini.


Chaque fois que je t'écris, je voudrais écrire comme toi, " me transposer en toi " avec tes moyens si équanimes et pourtant si sensibles. Ton dire, Marina, est comme le reflet d'une étoile quand il apparaît dans l'eau et se trouve par l'eau, par la vie de l'eau, par sa nuit liquide troublée, interrompu, aboli et réaccepté, puis accueilli plus profondément dans le flot, comme familiarisé déjà avec ce monde de reflets et après chaque éclipse,encore plus profondément! ( toi, grande étoile ! ) (...)



Connais-tu l'histoire du retour du jeune Tycho Brahé à une époque où on ne lui avait pas encore permis d'étudier l'astronomie, mais il rentrait de l'université de Leipzig pour passer les vacances au pays, dans le domaine d'un oncle... et là, il apparut que ( malgré Leipzig et la jurisprudence ! ) il connaissait déjà si bien, comme par coeur, le ciel ( pense ; il connaissait le ciel par coeur ! ) qu'un simple regard là-haut de ses yeux plutôt soucieux de repos que de recherches lui fit cadeau de la nouvelle étoile, dans la constellation de la Lyre : sa première découverte dans la nature étoilée. ( Et n'est-ce pas justement sauf erreur, "cette" étoile Alpha de la Lyre, « visible de toute la Provence et des terres méditerranéennes » , qui semble destinée aujourd'hui à être baptisée Mistral , Cela ne suffirait-il pas à nous réconcilier avec ce temps , que "ceci " soit possible : projeter le poète parmi les étoiles. ( Tu diras à ta fille, un jour, en t'arrêtant à Maillane : voici "Mistral", comme il est beau ce soir ! Une « gloire », enfin , enfin, plus haut que les plaques des rues ! )

La cadette de tes lettres est auprès de moi depuis le 9 juillet : que de fois j'ai voulu écrire ! Mais ma vie pèse si étrangement en moi, le plus souvent je n'arrive pas à la faire bouger d'un pouce; la pesanteur semble créer une nouvelle relation entre nous - je n'avais plus eu depuis mon enfance un coeur aussi inamovible; alors, toutefois, c'est le monde qui était affecté par la pesanteur et faisait pression sur quelqu'un qui était lui-même comme UNE AILE CASSÉE , perdant plume après plume dans le vague; à présent, c'est moi qui suis le seul pesant, et le monde autour de moi est comme un sommeil et l'été bizarrement distrait, comme s'il n'était plus à son affaire...

Tu le vois, j'ai de nouveau quitter mon Muzot : pour retrouver, ici, à Ragaz, les plus anciens et les seuls amis que j'ai encore gardé de l'Autriche...( pour combien de temps encore , car leur âge dépasse le mien de beaucoup...) et il est venu avec eux, inopinément quelqu'un de Russie, imagine "combien" cela m'a touché ! Ils sont tous partis maintenant, mais je prolonge encore un peu pour la belle lumière d'aigue-marine des sources thermales. Et toi ?


 Rainer


 Car mon pis et mon mieux


 sont les plus déserts lieux :


ce cadeau que tu m'as fait, je l'ai consigné dans mon calepin.


 



Marina Tsvétaïeva à Rilke: Saint-Gilles le 14 aout 1926


Cher ami,


As-tu reçu ma dernière lettre ? je te le demande parce que je l'ai jeté dans un train en partance. La boîte aux lettres était assez peu rassurante : trois doigts de poussière et une énorme serrure de prison. Le geste était déjà fait quand je m'en suis aperçue, la main avait été trop rapide - la lettre restera sans doute en souffrance - jusqu'au Jugement dernier. (...)


Rainer, écris-moi une carte postale, deux mots seulement : reçu - ou pas reçu - la lettre du train. Alors, je t'écrirai une longue lettre.


Rainer, cet hiver, il faut que nous nous retrouvions quelque part dans la Savoye française, tout près de la Suisse, quelque part où tu n'es jamais allé ( ce jamais existe-t-il ? j'en doute ). Dans une petite ville, Rainer. Aussi longtemps que tu voudras. Je t'écris cela très simplement parce que je sais que non seulement tu m'aimeras beaucoup, mais que je te donnerai beaucoup de " joie ". ( La joie doit être un attrait pour toi aussi. )


Ou cet automne, Rainer, Ou au printemps. Dis oui, pour qu'à partir d'aujourd'hui j'ai à moi une grande joie, quelque chose vers quoi tourner mes regards ( me retourner ? ) Parce que il est très tard et que je suis très lasse, je te serre dans mes bras.


 Marina


 le passé est encore à venir.


 

Hôtel Hof-Ragaz - Canton de Saint-Gall - Suisse ce 19 aout 1926

 

Le train,

 

Marina,

 

Ce train (avec ta lettre précédente) dont tu t'es tant méfiée après coup, a roulé à perdre haleine jusqu'à moi : l'étrange boite aux lettres était vielle comme le sont les chameaux et les crocodiles, dès leur jeunesse protégés par leur nature-de-vieux : qualité éminemment fiable - Oui, oui et oui, Marina, tous les oui à ce que tu veux et à ce que tu es, aussi grands, tous ensembles, que le OUI dit à la vie même... mais celui-là contient aussi tous les dix mille non, ceux qu'on ne peut prévoir.

 

Si je suis moins sûr que cette fusion nous soit réservée, telle que nous soyons comme deux strates, deux couches, tendrement serrées, deux moitiés d'un nid ( comme j'aimerais trouver en ce moment le mot russe pour « nid » ( oublié ), du nid du sommeil où un grand oiseau, un rapace de l'esprit ( ne cille pas ) vient se poser... (...)

 

...« Tu n'as pas besoin de répondre » , concluais-tu. Je ne le "pourrais" pas, peut-être : car qui sait Marina, si ma réponse n'a pas "précédé" ta question ? A Val-Mont déjà je l'ai cherchée sur la carte , "cette petite ville de Savoye"..., et voilà que tu l'énonce ! Tu l'isoles du temps, la garantie, comme si la chose s'était passée déjà - ai-je pensé en te lisant... Et tu as écrit déjà, dans la marge de droite de ta lettre: Le passée est encore à venir... ( vers magiques, mais dans un contexte si plein d'angoisse.)

 

Oublie maintenant, chère, aveuglement, ce qui à été demandé et à quoi il a été répondu là place-le ( quoi que ce puisse devenir ) sous la protection, remets-le au pouvoir de la joie que tu apportes, dont j'ai besoin, que j'apporterai peut-être, si tu fais le premier pas de l'apport ( déjà fait d'ailleurs ).

 

 Rainer

 


 Lettre posthume de Marina Tsvétaïeva à Rilke, décembre1926 


L'année s'achève avec ta mort ? Une fin ? Un commencement. ( Très cher, je sais maintenant - Rainer, voilà que je pleure - que maintenant tu peux me lire sans courrier, que tu es en train de me lire. Cher, si toi tu es mort, il n'y a pas de mort, la vie - n'en est pas une. Quoi encore ? La petite ville de Savoye - quand ? où ? Rainer, et le nid ( le filet*) de sommeil ? Maintenant, tu sais aussi le russe, tu sais que nid se dit "gnezdò, et bien d'autres choses encore.


Je ne veux pas relire tes lettres, sinon je ne voudrai plus « vivre » ( ne le « pourrai » plus? Je « peux » tout - ce n'est pas de jeu ), je voudrais te rejoindre, pas rester ici. Rainer, je sais que tu seras tout de suite à ma droite, je sens presque déjà ta tête claire. As-tu pensé une fois à moi ? (...)


Très cher, fais que je rêve de toi quelquefois. Nous n'avons jamais cru à à une rencontre ici ; pas plus qu'à l' ici n'est-ce pas ? Tu m'as précédée pour mettre un peu d'ordre- non pas dans la chambre, ni dans la maison - dans le paysage pour ma bienvenue.(...)


Rainer, " écris-moi " ( est-elle assez bête cette prière ? )


Meilleurs voeux et beau paysage de l'an nouvel du ciel !


 Marina


Bellevue, le 31 décembre 1926, dix heures du soir.


Rainer, tu es encore sur Terre, pour 24 heures à peine !


 

 

Images

Portrait de Rilke par Leonid Pasternak

"Photos web du Château de Muzot"  Sierre en Valais 

Une oeuvre de Tomasz Alen kopera

"Nébuleuse annulaire de la Lyre" résultant d'une explosion d'étoiles...

Statue de Marina Tsvetaïeva- par Zurab Tsereteli à St Gilles - photo -Daniel

"Ange au violon" auteur inconu

"La tombe de Rilke" cimetière de Rarogne - Haut-Valais Suisse

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